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Photo du rédacteurJulie Lemaitre

Et chez les autres, on accouche comment? L'exemple des Pays-bas. (Article du"Monde")


« Tristan est né sur ce lit, la semaine dernière à 16 h 42 exactement. » Assise en tailleur dans sa chambre remplie de fleurs, cartes de vœux et cadeaux, Liesbeth Slijster raconte comment elle a accouché dans sa maison en brique rouge de Nimègue, dans l’est des Pays-Bas. Une pratique encore commune dans le pays. « Au début, j’étais dans le salon, assise sur un ballon, et j’écoutais une musique relaxante avec des paroles d’encouragement. J’avais téléchargé cette application sur mon portable. Après coup, ça semble un peu bizarre, mais sur le moment, ça m’a aidée à me concentrer. Ensuite, mon mari et la sage-femme m’ont presque portée pour monter l’escalier. »

« On ne savait pas si tu voulais accoucher en bas ou à l’étage, je me demandais où déposer mes affaires », se souvient la sage-femme, Siegrid Hoekstra, revenue pour une visite à domicile du bébé et de sa mère. Une semaine après la naissance, Liesbeth, son bébé dans les bras, affiche un sourire radieux. « Je voulais vraiment cette naissance à domicile. Pour mon premier fils, Ami, j’avais dépassé le terme et il a fallu déclencher l’accouchement à l’hôpital. Je pleurais en y allant. Là-bas, tu dois rester sur ton lit, les gens vont et viennent… Et, après la naissance, ils ont pris le bébé pendant vingt minutes pour des tests, c’était très traumatisant. »

« A la maison, tout est si paisible, tranquille, sans distraction », raconte Mark, après la naissance de son fils Tristan dans la chambre conjugale. Marc Driessen pour "Le Monde"

Son compagnon Mark n’était pas aussi convaincu par l’idée d’une naissance à la maison, mais il a changé d’avis. Il est même allé demander des casiers à bière à l’épicerie pour rehausser le lit. « Maintenant, je trouve que c’est plus étrange d’accoucher à l’hôpital, admet ce hipster longiligne à la mèche blonde. Surtout le retour, mettre le bébé tout petit dans la voiture… A la maison, on est là où on doit être. Tout est si paisible, tranquille, sans distraction. Même quand je chuchotai, Liesbeth me demandait de garder le silence. Quelques minutes après la naissance, on était là tous ensemble et on a sorti le champagne. »

Contrairement à la France, où 99 % des naissances ont lieu à l’hôpital, les Pays-Bas ont préservé la tradition des accouchements à domicile, qui concerne aujourd’hui une femme sur six.


« Les gens imaginent qu’il y a du sang partout »

Aujourd’hui, c’est Elly Van Het Land qui apporte les boissons et les beschuit met muisjes, des biscottes beurrées recouvertes de billes de sucre colorées – bleues ou roses –, que les Néerlandais servent à l’occasion d’une naissance. Cette femme avenante d’une cinquantaine d’années est une kraamzorg : à mi-chemin entre l’infirmière et l’aide familiale, elle accompagne les jeunes parents chaque jour de la première semaine, s’occupe du bébé, prend sa température et le pèse, accompagne la mère pour l’allaitement et lui prépare ses repas, fait le ménage, joue avec les aînés… « Nous tissons des liens très forts avec les familles. Nous voyons beaucoup de choses, explique Elly, d’un air entendu. La plupart des mères fondent en larmes quand je pars. Mais, dès que je ferme la porte, ça va mieux, elles sentent qu’elles sont capables de se débrouiller. »

Pour l’accouchement, tout tient dans un sac, explique Siegrid Hoekstra, sage-femme. Marc Driessen pour "Le Monde"

La kraamzorg arrive à la fin de l’accouchement, pour seconder la sage-femme, encourager la mère et s’occuper du nettoyage. « Les gens imaginent qu’il y a du sang partout sur le sol et sur les murs, mais c’est faux », s’amuse Elly. Les aspects pratiques sont pris en charge par l’assurance : les futurs parents reçoivent un colis contenant les protections et alèses nécessaires pour une naissance à domicile. Le reste du matériel médical tient dans la mallette de la sage-femme. « Il y a des gants, une sonde Doppler portable pour écouter le cœur du bébé, un stéthoscope, un tensiomètre, des ciseaux et un clip pour couper le cordon, un kit de suture et des antidouleur s’il y a des déchirures, des ampoules d’ocytocine pour aider à l’expulsion du placenta… C’est à peu près tout, détaille Siegrid Hoekstra. J’ai aussi une trousse avec de l’oxygène pour le bébé, que je glisse sous le lit pour ne pas effrayer les parents. Mais – touchons du bois – je n’ai jamais eu à l’utiliser en vingt-cinq ans. »


Faire ses propres choix

« Si quelque chose se passe mal, l’hôpital est à dix minutes en voiture. On ne prendra jamais de risque. » Ces arguments rassurants, Siegrid Hoekstra les répète à ses patientes en distribuant des brochures illustrées : comment se passe un accouchement, quelles positions adopter pendant les contractions, comment faire ses propres choix… « C’est important de prendre sa propre décision, car vous avez plus de chances que l’accouchement se passe bien si vous êtes à l’aise. »

« Quand on est enceinte, les gens demandent d’abord : “Fille ou garçon ?” Et juste après : “Où vas-tu accoucher ?” »

La sage-femme et les cinq collègues de son cabinet suivent chaque mois une quarantaine de grossesses « normales », à bas risque, puisque les cas pathologiques (diabète, hypertension, jumeaux, etc.) sont suivis à l’hôpital. Mais seules 40 % des femmes choisissent d’accoucher chez elles. « Avant, c’était presque toutes mes patientes. Les choses ont changé en quinze ans », remarque Siegrid Hoekstra. Aux Pays-Bas, le taux de naissance à domicile est passé de 29,4 % en 2005 à 15,9 % en 2013.

Selon les sages-femmes, un tournant s’est produit en 2008, lorsque le pays a rétrogradé dans les statistiques européennes de mortalité périnatale. « Les médias se sont acharnés sur les naissances à la maison, alors que rien ne prouvait que c’était lié, déplore Siegrid. Des journaux écrivaient sur l’accouchement en titrantNe faites pas cela chez vous”. »

Siegrid Hoekstra et ses collègues suivent une quarantaine de futures mères chaque mois. Marc Driessen pour "Le Monde"

La question du lieu de naissance préoccupe tous les futurs parents. « Quand on est enceinte, les gens demandent d’abord : “Fille ou garçon ?” Et juste après : “Où vas-tu accoucher ?” » raconte Nina Tel. Cette jeune Allemande est étonnée de la décontraction en ce qui concerne la grossesse aux Pays-Bas, qui n’est pas considérée « comme une maladie » – « ma sœur, enceinte en Allemagne, a bien plus de prises de sang que moi ».

Son mari néerlandais, lui-même né à domicile, ne souhaite pas poursuivre la tradition. « La plupart du temps, tout se passe bien. Mais si ce n’est pas le cas ? Nous voulons réduire le risque au minimum », dit Jurjen avec insistance. Finalement, le couple a opté pour un accouchement en maison de naissance, une structure gérée par les sages-femmes située dans les locaux de l’hôpital. Un compromis entre intimité et sécurité qui commence tout juste à se développer en France.


L’hôpital au bout du couloir

Les futures mères peuvent aussi venir avec leur sage-femme pour accoucher à l’hôpital universitaire de Nimègue, le Radboud UMC. Au cœur de la maternité, une salle de travail leur est réservée. Les appareils techniques y sont discrètement dissimulés. En cas de difficulté (ralentissement des battements cardiaques, saignements, stagnation de la progression des contractions, etc.), les patientes sont transférées au bout du couloir et passent sous la responsabilité de l’équipe obstétricale. « Lorsqu’on est appelé, la sage-femme nous fait un compte rendu et nous montre le carnet de grossesse, explique Olivier Van der Heijden, gynécologue obstétricien à l’hôpital. Cela arrive environ pour 20 % des patientes de cette salle. Les autres, on ne les voit même pas. »

Après un accouchement normal, les mères et leur bébé quittent l’hôpital quelques heures après la naissance, trois jours après une césarienne. Comme le résume une future maman, « moins on reste longtemps, moins on a de risque que le bébé attrape de bactérie ». Mais, une fois chez eux, les jeunes parents ne restent pas désemparés, grâce à la kraamzorg, véritable Mary Poppins qui les accompagne. Un maillon indispensable du système néerlandais, selon Siegrid Hoekstra : « Chez vous en France, comment faites-vous sans ? »


Article de Anne-Aël Durand. Publié le 22 août 2016 dans "Le monde".

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